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HISTOIRE

Le pré-cinéma

par Benoît Montigné

Thomas Young, en 1802, prend le relais de Huygens et de sa théorie ondulatoire (Traité de lumière, 1690) - ce dernier la défendait alors contre celle d'Isaac Newton, hypothèse d'une nature corpusculaire de la lumière (Communication à la Royal Society, 1672) - et découvre un processus d'interférences lumineuses, en établissant des analogies entre le sens visuel et le sens sonore. Pour lui, c'est en observant le mouvement du son que pourra être explicité celui de la lumière.

La lumière éclairée par le son

Thomas Young, en 1802, prend le relais de Huygens et de sa théorie ondulatoire (Traité de lumière, 1690) - ce dernier la défendait alors contre celle d'Isaac Newton, hypothèse d'une nature corpusculaire de la lumière (Communication à la Royal Society, 1672) - et découvre un processus d'interférences lumineuses, en établissant des analogies entre le sens visuel et le sens sonore. Pour lui, c'est en observant le mouvement du son que pourra être explicité celui de la lumière. Se posent alors les potentialités d'une transcription des mouvements vibratoires du son; Young va alors imaginer un appareil pouvant servir sans difficulté à mesurer le nombre et l'amplitude des vibrations des corps sonores, en leur adaptant un style susceptible de décrire une trace ondulée sur un cylindre tournant, ébauche expérimentale des appareils qu'imagineront plus tard des physiologistes et linguistes-phonéticiens (le kymographe de Carl Ludwig en 1847, le phonautographe, ancêtre du phonographe de Scott de Martinville en 1854, les appareils enregistreurs respectifs de Marey, l'abbé Rousselot, Vaîse, Marichelle, etc.).

De la transcription graphique au mouvement de la parole

En 1875, Étienne-Jules Marey, physiologiste français, se voit confié par la Société de linguistique d'explorer les potentialités de l'application de la méthode graphique initiée par Young à l'étude des mouvements de la parole (notons que ce dernier écrivait en 1878 combien le seul usage de nos sens et du langage pouvait se révéler insuffisant et approximatif, en parlant de l'énonciation de ses théories). Marey modifie alors ses appareils de cardiographie pour leur permettre de capter les différents actes phonétiques, à savoir les vibrations du larynx, des lèvres, de la langue. Au terme de différentes expérimentations, un appareil à signal électrique est construit et par l'introduction de nouveaux procédés et le biais de nouveaux supports comme la photographie et le cylindre du phonographe, il constituera un des fondements techniques de la visualisation du mouvement de la parole par la photographie. Rappelons qu'en 1877, l'américain Thomas Edison invente le phonographe, puis, quelques années plus tard, en 1882, au sein du laboratoire de la station de Physiologie dans lequel il travaille, Marey élabore un nouveau procédé, la chronophotographie, dont l'objet est, par le biais d'un dispositif adéquat, de saisir et fixer un corps en mouvement sur une durée déterminée. Pour cela, le chercheur joue sur l'équilibre entre l'impression rétinienne et les battements de paupière et matérialise ses théories dans la réalisation d'une caméra munie d'un obturateur permettant de fixer sur des plaques de verre sensibles les images successives d'un objet se déplaçant dans un espace. Ses premiers résultats sont présentés à l'Académie des Sciences le 3 Juillet 1882, et ses travaux se développent progressivement, avec une caméra à plaque fixe dans un premier temps, puis à plaque mobile partir de 1888. Si l'espace de travail de Marey est immense et si l'on y trouve en conséquence toutes sortes d'appareils de mesure et d'instruments enregistreurs, les potentialités de ces derniers restent en revanche réservées à un personnel restreint de chercheurs, pour des usages résolument scientifiques.

Le portrait parlant

Un de ces chercheurs, Georges Demenÿ3, qui collabore depuis peu avec Marey, va peu à peu s'illustrer au fil de ses recherches comme celui qui fera s'échapper la technique du laboratoire en lui donnant des applications commerciales accessibles au grand public. Parallèlement, des expérimentations sur la photographie de la parole ont été et sont réalisées dans le même temps, en Allemagne avec Ottomar Anschütz et ses "portraits parlants" (1890) ou encore Thomas Alva Edison qui travaille depuis 1888 à un appareil permettant de faire pour la vue ce que le phonographe devait faire pour l'ouïe. Demenÿ, aidé par Marichelle, professeur à l'Institut National des sourds-muets de Paris, invente quant à lui - au cours de ses recherches sur la phonétique expérimentale en 1891 - un appareil nommé phonoscope, qui permet de reproduire, par le biais d'une succession de photogrammes (se résumant à l'époque à des négatifs vagues et sans intensité), un "mouvement de la parole"; le brevet est déposé le 3 mars 1892. Dans la première version, la caméra chronophotographique (initiée par Marey) permettait d'obtenir vingt-quatre images en Celluloïd qui étaient ensuite découpées et collées sur un disque. Ce dernier était placé sur un axe horizontal dans une boîte en bois munie d'un dispositif optique susceptible d'agrandir les images. Avec l'aide d'une "lanterne magique" et en tournant une manivelle, on avait alors l'illusion que le visage remuait les lèvres. Il envisage ensuite utiliser le phonoscope associé avec un phonographe, de manière à compléter l'illusion. Le 20 avril 1892 s'ouvre l'Exposition internationale de photographie, au cours de laquelle est présentée une version "commerciale" du phonoscope diffusant une séquence d'images montrant un homme qui prononce la phrase "Je vous aime". Le chercheur Demenÿ devient alors simultanément entrepreneur et artiste, ce film découlant d'un dispositif expérimental, bien antérieur au cinéma parlant, et produisant une symbolique très forte. Peut-être pouvons-nous qualifier cet objet d'expérimental… Le concept de "portrait parlant" est définitivement né et sera d'ailleurs repris par d'autres chercheurs pendant les vingt années suivantes. Au delà de la propre innovation, née malgré tout de travaux et apports multiples de divers chercheurs, Demenÿ représente le passage de l'innovation technique à l'application commerciale, celui de la science au spectacle; Il est ainsi l'un des premiers à préconiser un circuit d'expérimentations scientifiques vouées à une potentielle exploitation commerciale.


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