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Rapt, de Dimitri Kirsanoff
L'Idée, par Berthold Bartosh
Le sang d'un poète, Jean Cocteau (1930)
Night mail (1936), film de Basil Wright et Harry Watt
Alexandre Newski de Serguei Eisenstein
Pour Hanns Eisler, la fonction de la musique est de donner à l'image son véritable sens et révéler au besoin son sens caché. Dans les premiers temps du cinéma, de nombreux compositeurs se sont ainsi vus, dans cette perspective, composer pour ce nouveau médium, la plupart pour des films relativement commerciaux. Certains pourtant, tels que Arthur Honneger (dont les musiques conventionnelles adressées au cinéma relèvent d'un "symphonisme" un peu trop insistant) adressent leurs travaux à des œuvres moins commerciales, voire expérimentales et font alors preuve d'une imagination certaine.

Pour Hanns Eisler, la fonction de la musique est de donner à l'image son véritable sens et révéler au besoin son sens caché. Dans les premiers temps du cinéma, de nombreux compositeurs se sont ainsi vus, dans cette perspective, composer pour ce nouveau médium, la plupart pour des films relativement commerciaux. Certains pourtant, tels que Arthur Honneger (dont les musiques conventionnelles adressées au cinéma relèvent d'un "symphonisme" un peu trop insistant) adressent leurs travaux à des œuvres moins commerciales, voire expérimentales et font alors preuve d'une imagination certaine. Dans L'Idée, animation par Berthold Bartosh de gravures de Frans Masereel (1934), Honegger associe à un quatuor à cordes les sonorités électriques des Ondes Martenot (premier instrument électrique) inventées en 1928. Dans Rapt de Dimitri Kirsanoff (1934), il obtient un effet d'inversion acoustique par retournement de la bande musicale au montage, ouvrant ainsi des perspectives sur une musique mécanisée dont tireront profit expérimentateurs et musiciens "concrets".

Toutes ces expérimentations marginales n'étaient toutefois possibles qu'au sein de structures indépendantes des impératifs commerciaux qui imposent au son d'être synchrone - à la limite du redondant - pour rendre explicite des effets de sens. François Porcile , dans son article [à citer], nous rappelle d'autres exemples représentatifs, dont celui de Jean Cocteau qui, dans son film Le sang d'un poète (1930) prône «une musique soulignera les bruits et les silences" ; ce dernier rappellera plus tard que dans Le sang d'un Poète« j'avais déplacé les séquences musicales, trop proches de l'image, afin d'obtenir le synchronisme accidentel». Cette phrase est très importante pour nous, puisque l'on relève dans l'expression synchronisme accidentel de Cocteau deux principes importants, qui s'affirmeront pour nous comme ce que le cinéma expérimental va chercher volontairement ou involontairement à faire durant ce siècle, à savoir d'une part se départir du synchronisme (volonté explicite de chercher un nouveau rapport entre image et son), d'autre part rechercher l'accident (ce que l'on peut étendre au concept d'improvisation).

Parmi d'autres illustrations, on peut retenir celles de "L'école anglaise", relative à la période inventive du documentaire, avec notamment Night mail (1936), film de Basil Wright et Harry Watt, dont la piste sonore est tripartite: texte, bruits et musique interviennent à égale importance, en étroite imbrication, avec la symphonie des sons ferroviaires, le commentaire-poème de Wystan Auden et la partition de Benjamin Britten. Au fil des années, le travail entre compositeurs et cinéastes s'affinent ainsi progressivement, laissant la place à plus d'inventivité sonore. Eisenstein, lors d'une de ses collaborations avec Prokofiev, et à propos d'Alexandre Newski (1938) écrivait : «il y a des séquences dans lesquelles les plans furent montés en fonction d'une musique enregistrée par avance. Il y a des séquences pour lesquelles le morceau entier de musique fut écrit en fonction d'un montage définitif de l'image». Cette façon de travailler, c'est à dire dans l'égalité sémantique du sonore et du visuel, préfigure celle de cinéastes contemporains comme Jean-Luc Godard ou David Lynch, mais restera finalement, comme nous le verrons, très peu pratiquée, l'image s'affirmant majoritairement au détriment du son.

Dans ce contexte, cette période marquée par le glissement du son non musical au son musical, de la note au bruit - et ce dans les domaines parallèles de la musique et du cinéma - verra la naissance d'intuitions primordiales dans le contexte des musiques qui émergeront quelques dizaines d'années plus tard. Citons à cet endroit le compositeur Edgard Varèse, qui eut tôt l'intuition de la nécessaire introduction de nouveaux sons, qu'il modélisa sous la forme de sons continus; il est primordial de rappeler qu'à cette l'époque, tous les sons produits l'étaient par des instruments acoustiques, qui ne pouvaient en aucun cas produire un son continu, permanent. La technique ne permettant pas à Varèse de produire ces sons, il resta plus de vingt ans (!) sans pouvoir mettre réellement en application ses intuitions, faute de réserve intellectuelle de la part de ses confrères musiciens et techniciens. Il réussit toutefois à introduire un instrument original au sein de l'orchestre, à savoir les Ondes Martenot, qui produisent des sons quasi continus, mais difficiles à gérer par un interprète. Quoi qu'il en soit, grâce aux futuristes et plus tard à Varèse, on ne devait plus penser la musique au sens habituel, mais la penser comme un agencement de sons organisés.


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